J'ai été impacté par le vent qui déborde le long monologue de papa Longoué tout au début du Quatrième Siècle, qui ouvre ainsi l'œuvre romanesque d'Edouard Glissant. Aussi je ressentais une certaine complicité référentielle; l'espace majoritaire des romans glissaniens -Antilles-, et mon espace- Canaries-, sont unis par le vent: Alysées; "vent de sable" aux Antilles francophones et "Calima", aux Canaries. Les premiers amenèrent les Européens aux Antilles - les "bateaux de la mort", aussi- à travers l'Afrique. Le deuxième amène du sable du Sahara jusqu'aux Antilles par l'Afrique, les Canaries, -. Eternel retour?-
Je m'intéresse à l'analyse de l'impact du discours dans le principe durkheimien qui considérerait le discours comme une chose et comme un fait social, qui est lui même une chose.
Dans cet article je tente de proposer une approche au discours romanesque d'Edouard Glissant à partir de l'impact que j'ai ressenti. Je vais tenter de traduire celui-ci en variables touchables et je vais poser ce discours dans son cadre social et dans l'entourage du vent que je signalais commun à mon espace. .
Mon objet est l'ensemble de passages qui contiennent le vent dans la réédition de Gallimard de 1993 de: Le Quatrième Siècle, La Case du Commandeur, Malemort, La Lézarde et Tout-Monde. Ceux-ci se distribuent d'une manière assez inégale dans les cinq romans. Le Quatrième Siècle en a 43 sur 331 pages et Tout-Monde, 70 sur 518 pages,: La Lézarde, 22, Malemort, 23 et La Case du commandeur, 23.
La distribution de ces passages à l'intérieur de chaque roman est, aussi, inégale. Au Quatrième Siècle le vent se concentre entre les pages 10-20 et 50-60, avec 6 fois dans les deux cas. Puis, les fréquences descendent à 4 fois dans les pages 20-30; 3 fois entre les pages 30-40., 4 fois entre les pages 80 et 90 et 3 fois entre les pages 140 et 150.Enfin, le profil se disperse, jusqu'à s'effacer à la page 181. . Le terme s'élabore dans les 50 premières pages, qui totalisent 73,07% des concentrations de plus d'une incidence. En Tout-Monde la plus grande concentration se trouve dans les pages 90-100: 4 fois; puis dans les pages 150-160 et 20-30: 3 fois dans les deux cas et 2 fois dans les pages 10-20 et 30-40. Les pages 10-40 totalisent 7 incidences, 50% du total, alors que les marques le plus fortes se trouvent autour des pages 90-100. Aussi il se produit une chute d'intensité de présence du terme de 6 à 4. Si nous retenons le fait d'un affaiblissement dans les traits, nous pouvons accepter la ressemblance des profils de présence du terme dans les deux romans.
Il n'en est pas de même lorsque nous observons les profils des trois autres romans. Dans La Case du Commandeur les concentrations d'incidences se produisent autour des pages 85-87: 4; pages 31 et 134: 2 fois chacune. Il y a une plus grande concentration dans un plus petit espace: 2 pages, une page; et par conséquent une considérable réduction de la présence du vent dans les différentes étapes du récit.
Dans La Lézarde le vent se présente très tardivement, page 40; puis il apparaît 3 fois dans les pages 130-140, deux fois dans les pages 50-60, 60-70, 80-90, 90-100, 120-130 et 140-150. Sinon, il apparaît une fois dans chacune des décennies , jusqu'à la page 143, où il n'apparaît plus .
Dans La Case du Commandeur, le vent s'éveille assez tôt, page 19; pour se répartit par étapes: 0 fois dans les pages 20-30 et 150-160 et une fois dans toutes les autres décennies, sauf 80-90, 4 fois; 110-120; 40-50, 3 fois; 100-1110, 130-140, 140-150, 160-170, 2 fois.
Malemort offre un profil du vent bien défini. Il apparaît très tôt, page 27. Puis, il garde une forte présence dans la première décennie, 3, il s'affaiblit d'une seule occurrence, pour reprendre un cycle de croissance à partir de la 5éme décennie, avec 2 occurrences, 3 entre les pages 60 et 80, 5 dans les pages 100-110, 2 entre les pages 110-140 et 1 dans toutes les pages qui suivent jusqu'à la page 231, sauf les décennies 160-170 et 220-230 qui n'ont plus d'occurrences et pages 211-212 qui réunit 3 termes.
Ces profils, apparemment inégaux, révèlent quelques aspects . En premier lieu, il y a un rythme d'une modeste gamme qui fixe le cycle concentration-dispersión. La plus grande concentration se trouve dans Le Quatrième Siècle (6) puis, Malemort (5), Tout-Monde (4), La Case du Commandeur (4), La Lézarde (3). La variante de concentration s'échelonne ainsi entre 3 et 6.
La plus haute concentration du terme se produit, bien sûr, dans le début du grand monologue de papa Longoué qui m'avait impacté au départ: il se trouve 4 fois dans les deux premiers passages . Tous deux sont assez spécifiques dans le discours romancé glissanien. Ils sont courts, à l'inverse du romancier qui use en abondance de long passages : "Tout ce vent, dit papa Longoué, tout ce vent qui va pour monter, tu ne peux rien, tu attends qu'il monte jusqu' à tes mains, et puis la bouche, les yeux, la tête." Et "Comme si un homme n'était que pour attendre le vent pour se noyer oui tu entends, pour se noyer une bonne fois dans tout ce vent comme la mer sans fin....".
Dans les deux cas le terme est répété une fois. Aussi dans les deux cas, la première expression s'inscrit dans le cadre du sujet: "papa Longoué" et la répétition dans celui du monde -habitation du sujet. . Le sujet s'élargit entre papa Longoué, l'homme, le genre humain et des organes précis du corps mains- bouche / yeux-tête. Le "monde" se situe entre la case et les origines du vent..
Le vent emporte tout le processus de la scène. C'est la force qui s'impose d'office au sujet, lequel est emporté par le vent. Le "comme si un homme n'avait qu'.."! ne fait qu'affirmer la force du vent. Papa Longoué a déjà affirmé qu'il était là à attendre. L'apparence y est incarnée..
Et, justement, dans Le Quatrième Siècle, "comme" est le terme qui accompagne plus souvent le vent: 57 fois., "tout": 53 fois:, "même", 53 fois »; « case », 27: « terre: 22 », « Longoué »: 19, « corps »: 18; « eau »: 18; « soleil »: 16; « ciel »: 15; « tête »: 15; « morne »: 15; « mer »: 14; « devant »: 14; « fait »: 14; « Mathieu »: 14; « fin »: 13; « vieux », « vieillard »: 13; « mains »: 13; « enfant »: 13; « moi »: 13; « entendre »: 12; « force »: 11; « bois »: 11; « encore »: 10; « yeux »: 10; « branche »: 10; « chaleur »: 9; « feu »: 9; « toit »: 9; « temps »: 9; « paille »: 8; « Béluse »: 7.
La remarquable supériorité du contenu abstrait: "comme", "tout", "même" "encore" totalise 147 occurrences, alors que les termes concrets totalisent 365. Autrement dit à quatre éléments concentrent un 40,27% des occurrences et à 32 termes 60%.
On peut en déduire que la composante concrète du vent de Le Quatrième siècle est quantitativement plus grande, mais que la composante abstraite est davantage impactante, puisque plus concentrée.
Aussi, le concret figuré n'est pas toujours un concret réel. Par exemple "case", "terre", "Longoué", "Béluse" et "vie" reprennent le modèle des deux premiers passages cités du monologue: le sujet et l'habitation de celui-ci. Celui-là: Longoué, Béluse, noms des familles porteuses de la haine et expression d'un statut social. Le nom de famille échappe au présent. Il a commencé à prendre forme dans le "bateau de la mort" Le statut est en partie présent, c'est un présent perçu à travers un modèle social, construit lui aussi à partir d'un héritage culturel qui remonte au "bateau de la mort". Deux des autres éléments:: "case" et "terre" font refférence à l'habitation, définie par des critères très culturels. La première est domicile et se définie par opposition à habitation; la case est le domicile du "nègre". La "terre" est ce qu'entoure le domicile de celui-ci. Le dernier, "vie" est, bien sûr, une interprétation de la vie, culturelle aussi.
Il n'y a pas toujours d'aussi forts liens sociaux. Souvent les composantes du vent tendent à des signifiants bien concrets qui font référence au corps : "corps", "tête", "mains", "enfant", "yeux", "Mathieu"; à l'habitation générique: "eau", "soleil", "ciel", "mer", bois", "branche", "chaleur", "paille".
Il y a aussi une présence de délimitation: "morne", "fin", "vieux", "vieillard", "temps": un besoin d'affirmation: "toit", "feu", "moi", "force" et "entendre"; un désir de compétition: "devant" et "fait"
Le comparatif « comme » est celui qui a la plus haute incidence dans les passages de l’entourage du vent dans les cinq romans.. Suit de près : « tout », et plus faiblement : « terre »., : « même », « eau », « soleil » , « morne », « mer ».
Dans l'objet nouveau il n'y a presque pas de variation par rapport aux termes que j'avais classés comme abstraits. Primauté de "comme" , confirmation de "tout" et déplacement de "même" en faveur de "terre"..
Par rapport au concret, le continent s'est limité à "terre", "case" , "mer" et "soleil". Cette force du vent qui élargissait le scope jusqu'aux origines du vent, disparaît; dans les occurrences concernées par l'identité du sujet se produit une considérable chute; il en est de même en ce qui concerne le corps.
Le passage qui aurait la plus haute concentration de ces marques qui accompagnent le vent, serait, apparemment, le plus riche en contenu, le modèle idéale du terme glissanien . On le trouve, bien sûr, dans Le Quatrième Siècle. Il en réunit 6 : "comme", "tout", "terre", "eau", "morne" et "mer". Deux de 5 : "comme", "tout", "même", "terre" et "mer" et "comme", "tout", "eau", "ciel" et "mer" .
Tout-Monde en a un à 4 éléments: "comme", "soleil", "morne" et "mer", 3 de trois: "comme", "tout" et "terre"; "comme", "tout" et "soleil" et "comme", "eau", "mer".
La Lézarde a aussi une combinaison à 4: "comme", "même", "eau" et "mer". La Case du commandeur n'en a qu'une à 3: "comme", "même" et "tout". Ainsi que Malemort, avec: "comme", "tout" et "morne".
Il y a toujours une primauté du Quatrième Siècle, où le vent est très marqué pour une combinaison de "comme" et "tout"; assez marqué par la combinaison: "comme", "tout" et "eau", beaucoup moins marqué par "comme", "tout", "mer".
Tout-Monde approche de ce modèle, "comme" se combine 8 fois, "tout" maintient une certaine présence.. Déplacement vers le concret: "terre"; "eau", "soleil" etc.
A Malemort "comme" se combine trois fois, "même" et "eau" se combinent 2 fois. Dans La Lézarde "comme" et "mer" se combinent trois fois et "terre", "tout" et "même" se combinent 2 fois.
D'un double point de vue de la présence du vent et de la concentration des termes qui accompagnent plus fréquemment celui-ci, la primauté du Quatrième Siècle est relativement approchée par Tout-Monde; puis, à moindre degré, par La Lézarde et finalement les autres deux romans, qui ne se maintiennent dans la hiérarchie que par leur rapprochement à ce dernier.
Dans la même perspective, on peut observer dans le profil de distribution du vent dans les cinq romans, que celui-ci tend à se concentrer dans Le Quatrième Siècle et Tout-Monde autour des pages 10-50.
Cependant, le passage qui apparaît comme le plus riche en contenus du vent ne se trouve pas dans les 50 premières pages du roman, mais dans la page 82:
Comme », « tout », « même », « terre » et « mer » se trouvent dans le début du roman :
« Tout », début du roman, innicie un long monologue de papa Longoué : « Tout ce vent » qui se répète trois fois dans le paragraphe. C’est une idée de grandeur qui présente d'abord la totalité du vent puis, les faits qu'il « va pour monter » et qu’on attend « qu’il monte "jusqu’à tes mains, et puis la bouche, les yeux, la tête ».
Il y a l’immensité d’un vent et l’attente du corps devant le vent montant. La présence de « comme » et de « mer » dans la deuxième phrase ne fait que renforcer les trois éléments de la situation :. « Comme si un homme n'était que pour attendre le vent, pour se noyer oui tu entends, pour se noyer une bonne fois dans tout ce vent comme la mer sans fin..." . Il y a, néanmoins, renversement de l’ordre : d’abord l’homme qui attend la montée du vent et puis l'insistance de l'immensité de celui-ci. La totalité du vent s’opposait dans la première phrase à la distinction de « mains », « bouche », « yeux » et « tête », mais la présence immédiate du corps s’oppose à la médiativité du vent qu’on attend..
Aussi, le « comme » qui commence la deuxième phrase signale la présence de l’homme et voudrait affirmer l’indépendance de celui-ci; volonté qui est niée dans la première phrase : « tu ne peux rien, tu attends qu’il monte jusqu’à tes mains... » Le deuxième « comme », ne fait que réitérer l'immensité du vent, en le rapportant à la mer, pour justement renforcer la petitesse de l’homme par rapport aux deux éléments: "vent" et "mer".
La combinaison de « tout », « comme » et « mer » n'a pas seulement marqué le caractère « imposant » du vent, cet élément qui a décidé l’antagonisme entre les premiers Longoué et Béluse, mais aussi réveille les sens, par la présence du corps et de la souffrance de se sentir noyé dans cette immensité.
« Come », « tout », « eau », «
ciel » et « mer » se trouvent dans :
En effet, Louise est victime d'un enlèvement au même titre que Longoué l'avait été. Elle, qui avait épousé le référentiel de son maître; est déracinée et transplantée au "marrônage" . Sa première réaction à son entourage nouveau, s'inscrit dans un rejet de son nouveau concret, par l'usage de ses anciens repères référentiels: "la croix qu'elle avait oubliée". Or, à partir de ce point, elle écoutera son corps: la faim, la chaleur; puis, la même nature lui fournit les éléments sollicités par son corps - Elle se lance dans une course à la nature qui termine par ses épousailles avec le "morne" du "marrônage" qui prélude son mariage avec Longoué. . Louise a été prise dans le vent de Longoué. Elle pénètre aussi l'immensité de l'espace à travers le baume qui est la mer sur la douleur de ses blessures, à travers la mer qui se perd dans l'espace pour construire les fondations de la cité des "marrons".
« Comme », « soleil », « morne », « mer » :
« Comme », « même », « eau » et « mer » :
« Comme », « tout » , « morne » et "case":
« Comme », « tout » et « terre » :
« Comme », « tout » et « soleil »
« Comme », « même » et « tout » :
"Même", prend la forme de "même temps", qui à nouveau ramène aux sentiments exprimés par le Martiniquais face au cyclone. Celui-ci est aussi distorsioné par l'image de l'œil d'Augustus et celle-ci amène une nouvelle distorsion, celle de la culpabilisation de ne jamais comprendre ce qui nous est rendu par le "tout autant"..
" Comme », « tout » et « terre » :
Dans les différences de rythmes ou d'intensités, le vent des romans de Glissant apparaît médiatisé par des termes dominants, dans l'abstrait. Ceux-ci sont dominants et même omniprésents dans le cas de "comme".Dans le concret l'incidence des termes est plus variée.
Le "comme si" de Bachelard est assez explicite dans le cas. J'ai aussi remarqué la présence des termes du concret qui marquent, souvent d'une manière viscérale, le passage. Parfois même, la viscère est blessée et elle exprime sa souffrance.
Est-ce ce même vent qui rapprochait mon espace au vent de Glissant?. En partie oui, par l'impact du long monologue de papa Longoué où j'avais commencé ma lecture. .
Puis l'impact a commencé à se relâcher, malgré l'effet que je recevais de certains passages, peut-être parce que le monologue s'était épuisé dans l'impactante ouverture du discours romancé glissanien, le "cogito" existentiel de celui-ci.
Ce monologue contient, réellement les romans existants de Glissant. Il y a la tendresse qui inspire un vieillard chargé de toute la haine d'une race qui n'existe plus: les Longoué Il est dans sa "case", celle qui a été construite par le marron, son ancêtre, le nègre transporté dans le "bateau de la mort". Le monologue est destiné à Mathieu Béluse, celui qui est Béluse, et qui héritera la case de papa Longoué. La haine des Longoué s'adresse au "bateau de la mort", et aussi aux descendants de celui qui était le premier Béluse. Le vent monte au morne.
L'information supplémentaire sur cette scène qui nous parvient dans d'autres passages ne fait que renforcer les éléments dramatiques déjà existants: le premier Béluse n'a pas maronné tout de suite, mais il a été pris comme étalon pour les esclaves d'une femme. Celle-ci leur offre ce qu'elle n'a pas pour elle même. Béluse n'est pas parvenu à fertiliser, au début, les esclaves. Je laisse aux psychanalystes la joie d'une interprétation plus scientifique. Compte tenu que papa Longoué n'a plus de descendant, que Liberté Longoué a été tué par Anne Béluse et que Stéfanise Béluse s'accouple avec Apostrophe Targin, descendant des Longoué, lignée de papa Longoué et de Mathieu. Le faiseur de liberté, le premier Longoué, et l'"autre", le premier Béluse fomentent leur haine dans le bateau de la mort, tout en transférant celle-ci , à leurs fils, aux deux amis qui n'avaient aucune expérience du bateau de la mort et aucune raison de se haïr. Quel vent! Oh quel vent?.
Et mon vent, celui qui va de l'Afrique aux Antilles, en forme de sable ou en forme de souffle, ou le vent de la mer qui visite les archipels avec un coup de griffe ou un souffle de caresse, qui nous protège de la chaleur ou se joint à la mer pour nous isoler et nous offrir oxygène eau ou électrité? Est -il là?. Oui, il y est, des fois comme cyclone 33 fois, 18 fois comme un "vent qui monte" mais encore, ces présences ne se produisent pas dans les cinq romans. Comme d'habitude, elle est très marquée dans Le Quatrième Siècle: "vent qui monte" 17 fois et "cyclone", 13 fois; par contre La Lézarde n'a aucun cyclone et 1 "vent qui monte" et celui là n'existe pas dans les autres 3 romans. Aussi ces deux signifiés du vent sont souvent porteurs de haine ou de rancœurs que ressentent les habitants du morne pour ceux de la ville des exesclaves ou des exnégriers .
Le vent physique est le plus fréquemment éparpillé sur la dalle de la négritude comme si, à la manière du peintre Stirn de A Côté des jeunes filles en fleur, il créait le monde en le nommant.